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Briser le silence sur la liberté d’expression en Iran

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Briser le silence sur la liberté d’expression en Iran

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12214

L’Iran fait souvent la Une des journaux internationaux mais les journalistes iraniens ont rarement la chance d’avoir une influence quelconque sur le débat. Un dictateur agressif soutenu par un régime clérical despotique a réussi à isoler le pays de toute analyse critique interne en redéfinissant la liberté d’expression comme étant un crime contre l’État.

Bien que l’État tente systématiquement d’étouffer une presse libre et indépendante, des hommes et femmes courageux continuent à rapporter les faits et à révéler ce qu’est la vie dans un tel pays, risquant souvent de longues peines de prison, l’exil ou même leurs vies pour avoir tout simplement exercer leur métier.

Allant vers l’inconnu, affrontant un avenir impossible et fuyant un passé empli de terreur, le photojournaliste iranien Ehsan Maleki partit de Téhéran à pied le 3 août 2009 pour rechercher la « sécurité » en Irak où l’attendait précarité économique, la détention et le statut de réfugié. Sans passeport, emportant le strict minimum sur lui et avec l’aide d’un contrebandier d’alcool, l’ancien photographe de 30 ans de Sipa (une agence photo française) traversa la frontière entre l’Iran et l’Irak à pied au cours d’un calvaire qui dura 17 heures. Ehsan Maleki était à Téhéran lorsque le peuple a envahi les rues pour protester contre le résultat des élections de juin 2009 qui a vu l’échec du mouvement réformiste vert. « Après les élections, le ministère en charge des médias étrangers a officiellement interdit de couvrir les manifestations et mon rédacteur en chef m’a conseillé de rester à la maison car la situation était trop dangereuse pour les photographes », explique-t-il dans une interview accordée à la WAN-IFRA pour la journée de la liberté de la presse le 3 mai 2010. « J’avais l’impression que ce moment était vraiment important pour mon pays et j’ai pensé qu’il valait mieux ne pas perdre son temps en restant chez soi, même si mes photos n’étaient pas publiées. La seule chose que je pouvais faire était de sortir. »

Quand il vit que l’on arrêtait ses collègues, il eut la présence d’esprit de cacher son appareil photo avant qu’on ne vienne l’arrêter lui-même. Après avoir ensuite passé quelques jours caché dans une maison sûre, il décida qu’il était tout simplement trop risqué de rester. Cela donne vraiment à réfléchir de penser que pour Ehsan Maleki, tout comme pour d’innombrables Iraniens avant lui, l’Irak représente la voie vers la liberté, l’occasion de recommencer sa vie et une occasion qui vaut vraiment le coup d’être saisie, car malgré tous les dangers qu’ils peuvent encourir sur cette voie, l’alternative, c’est la prison, la torture et la confession publique de ses crimes contre l’État à la télévision. Pour Ehsan Maleki, ainsi que pour beaucoup de journalistes iraniens, choisir l’exil est le seul moyen de rester en vie.

À la suite des élections présidentielles controversées, les autorités iraniennes ont instauré diverses mesures sévères pour faire taire les voix critiques à l’encontre du président Mahmoud Ahmadinejad. Les retombées immédiates ont consisté en l’incarcération d’au moins 110 journalistes et la censure de 20 médias. Aujourd’hui, 23 journalistes croupissent encore derrière les barreaux, un cinquième de tous les journalistes détenus au monde.

Pour plus de la moitié des cas en Iran, ces journalistes emprisonnés ont été vaguement accusés de vouloir renverser l’ordre constitutionnel d’un régime qui s’acharne à faire taire toute forme d’opposition. Parmi ces prisonniers d’opinion, le journaliste et commentateur politique et universitaire Ahmad Zeid-Abadi, ancien rédacteur en chef du journal Azad et collaborateur au quotidien de Téhéran Hamshahari et au service de la BBC Perse. Il a été condamné en novembre dernier à six ans de prison pour avoir soutenu le changement démocratique pacifique et à une interdiction à vie d’exercer son métier de journaliste.

Ahmad Zeid-Abadi est bien connu pour la lettre ouverte qu’il a écrite en prison en l’an 2000 et dans laquelle il protestait contre le traitement infligé aux journalistes emprisonnés par les autorités judiciaires. Les prisonniers détenus par le ministère iranien des Renseignements sont contraints sous une pression intense à demander publiquement pardon au guide suprême de la révolution, Ayatollah Khamenei, le « repentir » étant apparemment « une des conditions » pour qu’ils soient relâchés. Ahmad Zeid-Abadi a refusé de trahir ses convictions et en reconnaissance de son attitude courageuse face à la persécution et de sa remarquable contribution pour la défense et la promotion de la liberté de la presse, nous lui avons décerné la Plume d’or 2010 de la liberté au cours de la cérémonie d’ouverture du 17e World Editors Forum le 6 octobre à Hambourg en Allemagne.

Malheureusement, le lauréat de la Plume d’or n’a pas pu recevoir en personne les honneurs du monde de la presse. Akbar Ganji, un grand journaliste d’investigation et lauréat de la Plume d’or de la liberté en 2006, a accepté le prix au nom d’Ahmad Zeid-Abadi. Akbar Ganji, qui critique ouvertement le régime iranien, a lui-même passé six ans dans les prisons iraniennes pour avoir revendiqué des réformes sociales et politiques en Iran lors d’une conférence à Berlin en 2000.

« L’Iran est aujourd’hui sous l’emprise d’une bande d’imposteurs malhonnêtes et leur vrai visage se voit clairement dans les prisons d’Evin, de Kahrizak et de Raja’i Shahr », a expliqué Akbar Ganji dans son discours prononcé devant presque 600 rédacteurs en chef du monde entier. « C’est dans l’enfer des coins reculés de ces prisons que l’on constate la bassesse de ce régime et la façon dont il nourrit l’éclosion des caractères les plus vils. L’ayatollah Khomeini et l’ayatollah Khamenei ont toujours agi sans la moindre hésitation aucune et justifié leurs actes par la religion ou autre.

« Dans leur islam idéologique, tout, mais vraiment tout acte haineux, est justifiable. C’est pour cette raison que pour le gouvernement du guide suprême, absolument tout ce qui peut briser et violer la dignité des prisonniers politiques est justifié. Je suis persuadé que, si Ahmad Zeid-Abadi avait été ici parmi nous, il aurait aussi dédié ce prix prestigieux aux autres prisonniers politiques. Ce prix doit être considéré comme une sorte de soutien moral et éthique pour les défenseurs de la démocratie attachés à la liberté et aux droits de l’homme. »

L’Iran est un pays complexe qui reste largement énigmatique à la majorité des étrangers. L’incompréhension des autres pays est grande face à l’Iran et l’Iran n’a que méfiance vis-à-vis du reste du monde. Cette situation se prolongera tant que la presse indépendante iranienne sera étouffée. Au cours des dix années à venir, la république islamique jouera un rôle de plus en plus important dans la définition des relations géopolitiques – sur la scène régionale comme sur la scène internationale – pour des débats divers tels que la question du nucléaire, l’approvisionnement en pétrole et le rôle de l’islam au sein de la gouvernance mondiale. Comment le régime actuel abordera ces problèmes est la véritable question. La situation reste aujourd’hui très obscure vis-à-vis de la plupart de ces débats critiques. Si l’Iran continue à refuser à ses citoyens le droit de participer au débat sur la nature de leur propre pays et sur la direction politique à suivre ainsi que le droit de faire entendre leurs voix, alors le régime sera forcé de prendre des mesures encore plus répressives pour conserver le pouvoir. Le peuple ne continuera pas à se taire et ceux qui sont à l’extérieur continueront à dédier leur vie à cet objectif : obtenir la liberté d’expression et le respect des droits de l’homme pour tous les Iraniens.

Il n’existe pas de prison assez grande pour contenir tout le peuple.

Auteur

Andrew Heslop's picture

Andrew Heslop

Date

2011-02-25 15:11

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